Qui est Jean-Lucien Savi de Tové, cet opposant togolais nommé président de la République

Le nouveau Président de la République Togolaise devant les députés et sénateurs

Crédit photo, Présidence togolaise

Agé de 86 ans, Jean Lucien Savi de Tové a été élu nouveau président du Togo après la nomination de Faure Gnassingbé au poste de Président du Conseil des ministres samedi 03 mai 2025.

Seul candidat proposé par l'Union pour la République (UNIR), le parti au pouvoir au Togo, Jean Lucien Savi de Tové a été élu à l'unanimité par les 150 membres du congrès, réunissant députés et sénateurs au cours d'une session spéciale.

Homme politique togolais, cet opposant fut ancien ministre du Commerce, de l'Industrie et de l'Artisanat dans les gouvernements d'Edem Kodjo et de Yawovi Agboyibo de 2005 à 2007. Il a également occupé le poste de secrétaire général du ministère des affaires étrangères après le coup d'Etat qui a porté au pouvoir Gnassingbé Eyadéma en 1967.

Accusé d'avoir fomenté un coup d'État avec d'autres personnalités politiques, dont Gilchrist Olympio, il fut condamné en août 1979 avec quatre autres personnes à dix ans de prison.

Titulaire d'un doctorat en sciences politiques de Paris-Sorbonne, Lucien Savi de Tové est une figure marquante de la vie politique togolaise.

Parcours politique

Après l'ouverture au multipartisme au Togo dans les années 90, il fonde le Parti des Démocrates pour l'Unité (PDU). En mars 1993, la coalition de l'opposition le propose comme Premier ministre lors d'une réunion à Cotonou, au Bénin, mais le Président Eyadéma rejette la proposition et nomme Joseph Kokou Koffigoh.

Aux élections législatives de 1994, Jean Lucien Savi de Tové se présente en candidat indépendant à la députation, sans succès.

Cinq ans plus tard, en 1999, il est nommé premier vice-président de la Convergence Patriotique Panafricaine, (CPP) une formation née de la fusion des principaux partis politiques de l'opposition à savoir l'UFC ( Union des Forces du Changement) de Gilchrist Olympio, l'UTD (Union togolaise pour la Démocratie) d'Edem Kodjo et l'UDS ( Union pour la Démocratie et la Solidarité.

En mai 2009, il est nommé président du Cadre permanent de dialogue et de concertation (CPDC). Depuis le 3 mai 2025, il est le premier président de la République sous la Cinquième République nouvellement instaurée.

Jean Lucien Savi de Tové : un opposant historique partisan du dialogue

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La nomination de cette grande figure historique de l'opposition togolaise représente pour de nombreux observateurs, une volonté d'apaisement. Pour les partisans du régime, Jean Lucien Savi de Tové incarne ''l'unité nationale'' dans un pays où la tension politique reste vive entre d'un côté le pouvoir en place et l'opposition et la société civile d'un autre.

La capacité de dialogue du nouveau président de la République est très bien appréciée par la classe politique à l'image du président de l'Assemblée nationale, Kodjo Adédzé, qui a salué ''son engagement pour un Togo réconcilié''.

Cependant, pour Paul Amégankpo, ce choix relève de la manœuvre politique. ''Le fait de nommer Savi de Tové comme président ramène à un passé historique pour montrer que la dynastie (de la famille Gnassingbé) qui est décriée par une frange importante de la population togolaise, n'est pas qu'une dynastie des Gnassingbé, mais plutôt une dynastie qui pourrait avoir un rapport avec les pairs de l'indépendance notamment la famille Savi de Tové''.

Dans les faits, Jean Lucien Savi de Tové qui ne détient pas les manettes du pouvoir ne peut en aucune manière peser et faire de l'ombre au président Faure Gnassingbé.

''Lorsque nous analysons la situation le 03 mai, on a remarqué que les lumières étaient projetées sur le Président du Conseil, Faure Essozimna Gnassingbé. Le président de la République dans le cérémonial de son installation était complètement occulté. La preuve en est que le quotidien national Togo Presse, dans sa parution du lundi 05 mai, n'a fait aucune mention de la désignation et de la prestation du serment du Président de la République Lucien Savi de Tové fait-il observer.

La cinquième république

La cinquième république togolaise est désormais entrée en vigueur à la suite de l'élection de Faure Gnassingbé et Jean Lucien Savi de Tové respectivement au poste de Président du Conseil des ministres et Président de la République togolaise par les députés et sénateurs réunis en congrès.

Prévue par la nouvelle constitution du 6 mai 2024, cette cinquième république consacre l'avènement d'un régime parlementaire en lieu et place du régime présidentiel jusque-là en vigueur au Togo depuis l'indépendance du pays en 1960.

Après une transition d'un an qui a permis l'installation d'un sénat, les parlementaires réunis en congrès ont élu le président du conseil des ministres et le nouveau Président de la République.

Selon la nouvelle constitution, le président du Conseil des ministres (nouvelle appellation du premier ministre), détient quasiment tous les pouvoirs de l'exécutif et reçoit l'allégeance de l'armée, alors que le président de la République, n'occupe qu'un titre honorifique désormais.

L'opposition et la société civile dénoncent ''un crime contre le peuple''

Alors que le parti au pouvoir se réjouit de l'élection de l'ancien ministre qualifié ''d'opposant modéré, qui a longtemps incarné le dialogue et la réconciliation au sein du paysage politique national'', l'opposition quant à elle et la société civile dénoncent un ''crime commis contre le peuple togolais''.

''Les parlementaires ainsi que les membres de la Cour Constitutionnelle qui ont participé au crime commis ce jour contre le peuple togolais, en validant le choix d'un Président du Conseil des ministres tout puissant bien que non élu par le peuple, en élisant un Président de la République à la place du peuple souverain, et en recevant le serment des nouveaux responsables illégitimes, seront tenus pour responsables devant l'Histoire. Ils auront trahi la souveraineté du peuple togolais'' ont dénoncé plusieurs partis et organisations de la société civile dans une déclaration liminaire au cours d'un rassemblement politique dans la capitale togolaise.

Deux figures emblématiques de l'opposition, Jean Pierre Fabre, ex-chef de fil de l'opposition togolaise, Président de l'Alliance nationale pour le Changement (ANC) et Me Paul Dodzi Apevon (leader des Forces démocratiques pour la République (FDR), tous deux députés à l'Assemblée nationale, ont boycotté la session du parlement en guise de protestation contre la nouvelle constitution du 06 mai 2024.

Désormais détenteur de tous les pouvoirs en tant que Président du Conseil des ministres, Faure Gnassingbé qui occupera cette fonction tant que son parti disposera de la majorité au parlement, a déjà passé 20 ans au pouvoir en tant que président de la République de 2005 à 2025. Le président de la République, lui, est élu par le parlement pour un mandat de 4 ans renouvelable une seule fois.

La nouvelle réforme constitutionnelle instaurant la cinquième république est perçue par certains observateurs comme une volonté pour le désormais Président du Conseil des ministres de se maintenir au pouvoir, malgré le changement de régime politique.

Paul Amégankpo

Crédit photo, Paul Amégankpo

Légende image, Paul Amégankpo

L'analyste politique togolais Paul Amégankpo voit dans le changement de régime politique au Togo, ''un instinct de conservation de pouvoir de la part du parti au pouvoir et de la famille Eyadéma'' qui gouverne ce pays d'Afrique de l'Ouest depuis 1967.

Joint au téléphone par BBC/Afrique, Paul Amégankkpo estime que le changement de la Constitution qui fait passer la nature du régime de semi-présidentiel, à un régime parlementaire, obéit à une seule logique, ''permettre au Président de la République Faure Essozimna Gnassingbé de se faire une peau neuve et de pouvoir continuer à rempiler ad vitam aeternam les prérogatives du pouvoir suprême''.

Pour lui, la fonction de président du Conseil des ministres, regorge ''toutes les prérogatives que détenait jadis le président de la République qu'il était jusqu'au soir du 03 mai 2025''. Il souligne que les changements introduits par l'actuel régime au Togo, sont le résultat de ''l'incapacité de l'opposition politique de pouvoir inventer une approche innovante en permettant de constituer une alternative crédible pour assurer l'alternance politique au pouvoir à travers des offres politiques qui pourraient mobiliser le peuple togolais''.

Paul Amégonkpo remet en cause ''l'incapacité des partis politiques à pouvoir renouveler les instances dirigeantes'' citant le cas du parti UNIR (Union pour la République) (pouvoir) présidé par Faure Gnassingbé depuis sa création il y a presque vingt ans. C'était également le cas du RPT (Rassemblement du Peuple Togolais), qui était présidé par le feu président Gnassingbé Eyadéma, père de Faure Gnassingbé mais aussi des autres formations de l'opposition l'Union des Forces du Changement (UFC) de Gilchrist Olympio ou l'Alliance nationale pour le changement (ANC) de Jean Pierre Favre, toutes dirigées depuis plusieurs décennies par les mêmes figures politiques.

''Lorsque nous observons toute la classe politique togolaise, on remarque que les pères fondateurs de ces partis restent encore les dirigeants après plusieurs décennies. Et donc, à partir du moment où l'esprit démocratique exprimé par le renouvellement de la classe politique mais également par des générations n'incarne pas notre sphère politique au Togo, la réalité de se pérenniser au pouvoir et de continuer à avoir le contrôle de l'appareil politique, sera présente'' dit-il.

Evoquant la nomination de Jean Lucien Savi de Tové, âgé de 86 ans à la présidence de la République, Amégankpo souligne que cette nomination s'inscrit dans cette même logique, à savoir le règne des mêmes figures pendant plusieurs années. ''M. Jean Lucien Savi de Tové est un opposant historique qui plus est, est le fils du premier président de l'Assemblée nationale du Togo entre 1958 et 1963, lorsque le premier président du Togo, Sylvanus Olympio gérait le pays''.

Pour lui, le fait de nommer Savi de Tové comme président ''ramène à un passé historique pour montrer que la dynastie (de la famille Gnassingbé) qui est décriée par une frange importante de la population togolaise, n'est pas qu'une dynastie des Gnassingbé, mais plutôt une dynastie qui pourrait avoir un rapport avec les pairs de l'indépendance notamment la famille Savi de Tové''.

L'instauration d'un régime parlementaire au Togo a seulement changé le siège du pouvoir et non et non celui qui l'exerce. ''Il n'y a pas du tout de changement parce que le président du Conseil des ministres qui est en réalité est le Premier ministre dans d'autres régimes parlementaires, regroupe toutes les prérogatives qu'un président de la République devrait avoir notamment être le chef des armées, être le responsable de la personne qui donne les orientations sur les politiques gouvernementales au niveau du pays'' fait-il remarquer. Paul Amégankpo de préciser que ''la seule différence c'est que, cette fois-ci, le président de la République a une portion congrue du pouvoir, qui se limite à la désignation des ambassadeurs et à la réception des accréditations des ambassadeurs étrangers au Togo''.

Quand est-il de la répartition des pouvoirs de l'Assemblée nationale vis-à-vis du Président du Conseil des ministres ? C'est le président du Conseil qui incarne l'exécutif togolais. Cependant dit-il ''le président du Conseil n'est pas aussi responsable devant l'Assemblée nationale dans la mesure où il a la possibilité de dissoudre l'Assemblée nationale lorsque cette dernière engage la responsabilité du gouvernement. Et donc, c'est le plein pouvoir que détient aujourd'hui le Président du Conseil des ministres, Faure Gnassingbé.