"A la mort de mon mari, on m'a tout arraché…maintenant, je suis épanouie"

- Author, Papa Atou Diaw
- Role, BBC News Afrique
Transformer le cacao pour façonner leur quotidien, c'est l'objectif des femmes de Diégonefla.
Cette localité située à environ 270 km d'Abidjan, la capitale économique ivoirienne, est le cocon dans lequel ces dames voient leur vie transformée grâce au beurre de cacao.
C'est au siège de la fédération des femmes que Tanon Gouman Thérèse (Epse) Siéto nous reçoit, entourée de quelques membres de son association.
C'est dans cet antre que les femmes, à la force de leur bras et leurs moyens rudimentaires, arrivent à transformer le cacao en savon, gel de douche mais aussi en leur produit phare : le beurre de cacao.

Le beurre de cacao, "un second mari"
« Au début, c'était très difficile, mais maintenant, je suis épanouie. Le beurre de cacao, pour moi, c'est un second mari », nous glisse Mme Sieto, le regard amusé.
Le visage souriant de dame Sieto laisse place à un rictus quand elle évoque son défunt mari. « L'homme est un essentiel dans la vie de la femme. Et mon essentiel est parti », dit-elle le regard baissé.
Elle a vécu la mort de son mari comme une douloureuse expérience. Elle se souvient encore de leur couple dansant et célébrant les premiers kilos de beurre de cacao transformé.
Son « essentiel » ne verra malheureusement pas les premières tonnes de beurre de cacao que Sieto et son association vont transformer puis commercialiser au-delà de Diégonefla.
À la suite du décès de son mari, elle s'est retrouvée dépossédée des terres que ce dernier mettait en valeur.
« Chez nous, ici, quand vous perdez votre mari, les gens vous prennent pratiquement tout. Donc, je me suis retrouvée à zéro parce qu'on m'avait tout arraché », soupire-t-elle non sans un brin de tristesse dans la voix.

La désormais veuve de six enfants préfère préserver les liens familiaux que de s'engager dans une rude bataille pour récupérer ses terres.
Elle fait le choix de recentrer ses forces sur le devenir de ses enfants, mais aussi son « second mari » : le beurre de cacao.
Aujourd'hui, grâce à la transformation du cacao en beurre, madame Sieto réussit à subvenir aux besoins de sa progéniture.
« Ce n'était pas évident. Quand leur papa mourait, ils étaient encore à l'école primaire et secondaire, aujourd'hui, mes enfants sont à l'université », confie-t-elle.
« Aujourd'hui, j'ai ma maison que j'ai construite. Je suis épanouie », dit-elle avec un large sourire au visage.
À l'instar de dame Sieto, le beurre de cacao a également transformé la vie de Nathalie Dago. En plus de la scolarisation de ses enfants, elle arrive à participer aux contributions financières demandées par la famille. Ce qui lui était difficile auparavant.
« Je suis épanouie, je suis contente, je n'ai plus de problèmes financiers », déclare Dago.
Cependant, elle se désole que le rythme de leurs activités ne se fasse qu'en fonction des commandes reçues.
« On aimerait travailler comme les fonctionnaires. Souvent quand les commandes finissent, nous restons à la maison », confie la mère de famille.

Autonomiser les femmes en milieu rural
La fédération des associations des femmes de Diégonefla rassemble plusieurs regroupements de femmes dont celui de l'Union des femmes Gban. Thérèse Sieto est portée à la tête des deux associations par les siennes.
Tous ces regroupements ont un seul objectif : l'autonomisation de la femme en milieu rural.
« Il y a plus de femmes chefs de famille et beaucoup de femmes veuves. Compte tenu de tout ça, nous avons donc décidé de nous mettre ensemble pour que nous puissions travailler pour notre autonomisation parce qu'on ne peut pas toujours compter sur quelqu'un d'autre », déclare Dame Sieto.
La fédération compte environ 700 femmes issues du département (d'Oumé) dont l'activité clé est la transformation du beurre de cacao.
Aujourd'hui, les activités de transformation se font avec des moyens limités.

Rien de la cabosse ne se perd
« Notre machine n'a pas une très grande capacité », déplore Mme Sieto.
Dans les locaux, les marmites posées sur les fourneaux assurent la transformation du cacao en beurre. Rien de la cabosse ne se perd, tout du cacao se transforme.
De la coque, utilisée pour produire du savon et du gel de douche à la fève qui est transformée en poudre de cacao.
« Après le cabossage, le séchage du produit, nous passons au broyage, puis nous obtenons cette matière, la pâte de cacao », explique dame Sieto, pointant du doigt les marmites posées sur des fourneaux.

Aujourd'hui, quand Thérèse Sieto jette un regard dans le rétroviseur, c'est un sentiment de fierté et de devoir accompli qui l'anime. Elle se souvient encore du temps où elle commercialisait des assiettes et que d'autres vendaient du placali (purée de manioc) sans vraiment s'en sortir.
C'est alors qu'un fils de la ville, un agronome et spécialisé en microbiologie, le Dr Dou Roméo, leur souffle l'idée de se lancer dans la transformation de beurre de cacao.
L'expertise de M. Dou en agronomie, leur a permis de produire leur premier kilo de beurre de cacao.
L'association a mûri depuis. Les femmes de Diégo, sont désormais conviées à des rencontres internationales telles que le Salon de l'Agriculture et des Ressources Animales (SARA).
« Ça nous a ouvert les portes. On voyage, on va faire des expositions dans les universités. Aujourd'hui, nous prenons l'avion, ce qu'on ne connaissait pas » affirme-t-elle avec fierté.
Le défi des moyens

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Bien que la production de beurre de cacao ait contribué à autonomiser les femmes de Diégonefla, leur faible capacité de production tend à limiter les bénéfices qu'elles auraient pu en tirer.
Les plantations de l'association n'arrivent pas à couvrir la demande des clients.
« Ce champ-là est très petit », affirme Dame Sieto faisant allusion à l'une des plantations qu'elles exploitent. « Ce champ a moins de deux tonnes de production. Or la dernière commande que nous avons reçue, était de 11 tonnes », explique-t-elle.
Pour résorber ce gap, elles s'approvisionnent auprès d'autres fournisseurs en cacao broyé.
Cependant, les moyens rudimentaires de leur production ne limitent pas Dame Sieto et les siennes. Pour elles, ce qui importe ce sont les petits pas de tous les jours qui leur permettront d'atteindre leurs objectifs.
« J'ai dit aux femmes de prendre le courage à deux mains, de se battre pour un lendemain meilleur », lance avec conviction Mme Sieto.














