Sécheresse : pourquoi l'Afrique n'a pas pu obtenir un accord mondial urgent

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- Author, Par Navin Singh Khadka
- Role, Correspondant pour l'environnement, BBC World Service
L'Afrique a été frappée par 14 sécheresses extrêmes rien qu'au cours des deux dernières années, soit bien plus que tout autre continent, et les Nations unies préviennent que quelque 20 millions de personnes sont menacées en Afrique de l'Est cette année, après un nouvel épisode de sécheresse.
Il était donc normal que la Côte d'Ivoire accueille ce mois-ci le sommet organisé par les Nations unies sur les effets dévastateurs des trois D - sécheresse (drought, en anglais), désertification et dégradation des sols.
Cependant, la réunion de deux semaines à Abidjan n'a pas permis d'obtenir grand-chose pour lutter contre ces crises.
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De nombreux pays africains plaident en faveur d'un accord mondial juridiquement contraignant pour lutter contre les sécheresses, à l'instar du protocole de Kyoto lancé en 1997 pour réduire les émissions de carbone, ont indiqué des sources à la BBC.
L'Ouganda et l'Angola figurent parmi les États qui amplifient la demande du bloc africain.
Mais ils tiennent à ce que la sécheresse ne soit pas considérée comme un problème propre à l'Afrique - ils veulent qu'elle soit traitée comme un problème mondial, afin qu'elle reçoive une attention mondiale.
Ils font valoir que les sécheresses sont alimentées par le changement climatique et que seule une action mondiale peut faire la différence, même si, dans le cas de l'Afrique, la dégradation des sols et la désertification ont aggravé la situation.
"C'est un problème mondial, pas seulement celui de l'Afrique", explique le négociateur ougandais Kabango Freddie.
"Nous pensons que si toutes les parties à la CCD [Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification] sont d'accord pour faire face à cette crise dans le cadre d'un instrument juridiquement contraignant, nous pourrons aider les communautés qui ont été touchées par la sécheresse, ou qui y sont vulnérables, à devenir résilientes."
Mais la proposition ne recueille pas le soutien des autres régions du monde. Elles estiment qu'il existe déjà d'autres pactes et mécanismes mondiaux pour faire face à la crise - tels que la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, les objectifs de développement durable ou même l'accord de Paris sur le climat - et que la création d'un nouvel instrument ne serait d'aucune utilité.
L'Argentine et la République dominicaine - représentant l'Amérique latine et les Caraïbes - estiment que des efforts accrus, notamment un soutien financier et technique, sont nécessaires pour aider les pays à lutter contre la sécheresse et la désertification, tandis que l'Union européenne (UE) considère que les mécanismes existants doivent être utilisés pour éviter les doubles emplois.
Au final, un compromis a été trouvé - un accord pour reporter une décision de deux ans et former un groupe de travail intergouvernemental qui étudiera les moyens de se concentrer sur une gestion proactive de la sécheresse.
Il présentera son rapport d'ici 2024, date à laquelle les trois D devraient devenir un problème plus important.
Les participants à la réunion ont également convenu de restaurer un milliard d'hectares de terres dégradées dans le monde d'ici à 2030. Toutefois, certains craignent que cet objectif ambitieux ne soit pas atteint, à l'instar d'objectifs similaires antérieurs.
La perte de terres entraîne des conflits
Un rapport dévoilé lors de la réunion, La sécheresse en chiffres, montre que sur les 23 pays qui ont connu des situations d'urgence liées à la sécheresse au cours des deux dernières années, la majorité - 14 - se trouvent en Afrique.
"L'Afrique a souffert de la sécheresse plus fréquemment que tout autre continent, avec 134 sécheresses entre 2000 et 2019, dont 70 en Afrique de l'Est", indique le rapport.
Le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat a montré que les sécheresses ont augmenté dans certaines régions d'Afrique, et il prévoit une nouvelle augmentation.

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Les deux tiers de l'Afrique sont constitués de déserts et de terres arides, de sorte que les terres productives sont limitées au départ. Pour aggraver les choses, 65 % des terres productives sont déjà dégradées, selon les Nations unies.
La productivité des terres s'est fortement érodée, principalement en raison de leur utilisation non durable à des fins agricoles et de l'augmentation de la production alimentaire.
Des études ont également montré que l'Afrique perd quatre millions d'hectares de forêts chaque année et que la production de charbon de bois reste une menace majeure pour les forêts de nombreux pays.
En outre, la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification indique que 45 % des terres africaines sont touchées par la désertification et que plus de la moitié d'entre elles présentent un risque très élevé de désertification supplémentaire.
"Nous constatons des conditions plus difficiles d'année en année", a déclaré Patrick Youssef, directeur régional pour l'Afrique du Comité international de la Croix-Rouge.
Et l'extension du désert signifie une concurrence accrue pour les meilleures terres, ce qui entraîne des conflits.
"L'intensification de la dégradation des terres, de la désertification et de la sécheresse a entraîné la disparition des pâturages et de l'eau dans des régions comme le nord du Mali, et les éleveurs doivent empiéter sur les terres agricoles d'autres communautés", explique M. Youssef.
Donner des terres aux agriculteurs
Depuis 1999, la plupart des pays africains élaborent des plans d'action régionaux pour lutter contre la dégradation des sols et la désertification.
Mais une analyse publiée l'année dernière par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture et une agence de développement de l'Union africaine a révélé que les progrès accomplis étaient insuffisants.
Selon un autre rapport publié juste avant le sommet, seuls 4 à 20 % de l'objectif initial de l'initiative de la Grande Muraille verte ont été atteints d'ici 2020.
L'initiative a été lancée en grande pompe en 2007 pour restaurer 100 millions d'hectares de terres en plantant des millions d'arbres, en restaurant les prairies, la végétation et les zones humides dans 11 pays, du Sénégal sur la côte ouest de l'Afrique à Djibouti à l'est, d'ici 2030.

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Tony Rinaudo, conseiller en action climatique de l'agence d'aide World Vision, a déclaré que les gouvernements devaient augmenter la quantité de terres agricoles appartenant aux agriculteurs, par opposition au gouvernement.
"Il ne faut pas s'étonner que les populations rurales ne soient pas incitées à protéger et à gérer durablement ce qui ne leur appartient pas et dont elles n'ont aucun droit légal de bénéficier", explique-t-il.
Mais la propriété seule ne résoudra pas le problème. Le changement climatique contribue de plus en plus aux sécheresses.
La sécheresse qui sévit actuellement en Afrique de l'Est et dans la Corne de l'Afrique a exposé jusqu'à 20 millions de personnes à un risque de famine grave.
L'un des pays touchés est l'Éthiopie, qui a déployé beaucoup d'efforts pour se préparer à faire face à la sécheresse, mais qui est maintenant aux prises avec la pire sécheresse depuis près d'un demi-siècle.
"L'Éthiopie a pu résister à la sécheresse pendant près de cinq ans grâce à ses terres restaurées qui avaient beaucoup de résilience", indique Louise Baker, fonctionnaire de la CCD.
"Mais la sécheresse qui sévit actuellement dans la Corne de l'Afrique est vraiment dure, de sorte que ces terres ne sont pas en mesure de faire face. Vous faites des progrès d'un côté, mais le climat exerce une pression considérable sur les terres qui ont été restaurées", ajoute-t-elle.













