Twitter au Nigeria: pourquoi je pense que la plateforme sociale s'est trompée

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La journaliste et romancière nigériane Adaobi Tricia Nwaubani s'intéresse au pouvoir de Twitter et aux mesures prises à son encontre par le gouvernement nigérian.
Cela fait deux mois que le gouvernement nigérian a interdit Twitter après que le géant de la technologie a supprimé un message du président Muhammadu Buhari, auquel il reproche d'avoir enfreint ses règles concernant les propos injurieux.
Malgré l'indignation générale et les protestations des principaux diplomates étrangers présents dans le pays, le gouvernement nigérian est resté inflexible.
Il a toutefois annoncé, mercredi 11 août, qu'il finalisait un accord avec Twitter et que l'interdiction serait levée dans quelques jours ou semaines.
La plupart des commentaires portaient sur l'impact négatif de l'interdiction sur la liberté d'expression et l'économie.
De nombreux Nigérians utilisent la plateforme pour amplifier leurs griefs à l'encontre du gouvernement et toucher davantage de clients pour leurs entreprises.
Mais la décision de Twitter de supprimer le message du président Buhari - dans lequel il menaçait de recourir à la violence contre un mouvement séparatiste - était malvenue. *
Ce point est également devenu un sujet de débat dans d'autres pays, notamment en Inde.

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L'entreprise privée américaine semblait s'immiscer dans les affaires intérieures d'un État africain souverain, sans avoir suffisamment de connaissances de base pour comprendre les conséquences de ses actions.
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Néocolonial
À l'époque, Twitter a déclaré que le message du président nigérian était en violation de ses règles.
L'entreprise a le droit d'appliquer ses règles, mais le message de M. Buhari relevait d'une communication officielle faite par le chef de l'État, qui s'adressait à son peuple.
Le message avait été posté sur un compte gouvernemental.
Le même message a également été diffusé sur d'autres plateformes médiatiques dans le pays.
Est-il normal qu'une entreprise privée américaine ait le pouvoir de modifier, sans autorisation, la communication officielle d'un président démocratiquement élu d'un pays africain ?
Il n'y a pas plus néocolonial que cela.

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Les Nigérians ont le droit d'être au courant des plans et des stratégies de leur dirigeant, même si le choix de ses mots est imprudent.
Ils ont le droit de savoir même s'il planifie quelque chose d'aussi insensible que de déchaîner la violence sur eux.
Les Nigérians ont aussi le droit de lui répondre, dans le cadre de l'interaction entre le gouvernement et ses citoyens.
Dans son tweet, M. Buhari a menacé de recourir à la violence contre le mouvement du Peuple indigène du Biafra, qui cherche à créer un État indépendant dans le sud-est du Nigeria, où vivent les Igbos.
La création du Peuple indigène du Biafra a été déclaré illégale en 2017 - le groupe a contesté son interdiction devant les tribunaux du pays et a perdu le procès.
Amplifier les divisions
Alors que de nombreux Igbos estiment avoir été marginalisés à bien des égards, notamment en étant écartés des principaux postes de direction, la majorité d'entre eux ne soutient pas le désir de sécession de l'organisation.
Ils n'apprécient pas non plus sa rhétorique violente à l'encontre des autres groupes ethniques, souvent qualifiés d'animaux sauvages par le leader du Peuple indigène du Biafra, Nnamdi Kanu, qui est accusé de trahison.
En février, Facebook a désactivé le compte de M. Kanu pour ses propos haineux, mais il est resté actif sur Twitter.
En supprimant les menaces de M. Buhari, Twitter a, par inadvertance, pris parti pour le Peuple indigène du Biafra, et les partisans du groupe n'ont pas tardé à se réjouir de cette manifestation de solidarité présumée.
À la suite de la réaction du gouvernement en juin, quelques tweets du leader du groupe ont été supprimés par Twitter.

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Une implication aussi irréfléchie de Twitter a amplifié les divisions qui ont fait dérailler le mouvement nigérian #EndSars, lequel a supervisé les manifestations contre les brutalités policières en octobre 2020.
Différents groupes ont participé à la planification et à la collecte de fonds pour les manifestations qui ont commencé sur Internet et se sont répandues dans les rues des villes du Nigeria pendant environ deux semaines.
Mais lorsque Twitter a vérifié le compte d'un groupe et pas celui des autres, cela a conduit à d'amères querelles et au retrait de certains groupes du mouvement.
"Twitter a sélectionné par inadvertance les leaders du mouvement social nigérian contre les brutalités policières et a intensifié la rivalité qui avait déjà fracturé le mouvement", écrit le journaliste nigérian Ohimai Amaize.
Le géant de la technologie s'est aventuré là où même les diplomates étrangers chevronnés et les organismes mondiaux ont peur d'aller.
De nombreux étrangers bien intentionnés ont appris à ne pas s'immiscer trop rapidement dans les affaires des pays africains, comme le Nigeria, où les problèmes sont souvent plus compliqués qu'ils n'en ont l'air.
Ils adoptent de plus en plus la tendance à confier les responsabilités à des organisations locales qui comprennent mieux les dynamiques locales.
La décision de Twitter d'installer un siège social pour l'Afrique de l'Ouest au Ghana est un bon pas vers le développement de compétences culturelles.
Tentative d'étouffer la critiqueh
Les conditions posées par le gouvernement nigérian pour la levée de l'interdiction comprennent la supervision de l'activité de Twitter au Nigeria et la présence d'une partie de son personnel dans le pays.
L'administration dirigée par M. Buhari a fait preuve de peu de respect pour l'État de droit et la liberté d'expression, avec un certain nombre de journalistes et de militants emprisonnés simplement pour avoir critiqué le gouvernement.
L'interdiction totale de Twitter est une tentative à peine dissimulée du gouvernement d'étouffer les voix de la critique, et les Nigérians ont de bonnes raisons de s'inquiéter.
Mais le pouvoir des grandes entreprises technologiques de prendre des décisions arbitraires sur qui peut dire quoi, quand et comment est tout aussi troublant.
Cela soulève des questions sur le contrôle de la parole et la censure des voix impopulaires, alors qu'un débat public ouvert est nécessaire dans une société démocratique libre.
S'il est autoritaire pour le gouvernement nigérian d'interdire l'utilisation de Twitter, il est encore plus problématique pour un Américain qui pivote dans un fauteuil de la Silicon Valley de mettre le doigt dans les affaires internes d'un État africain souverain.












