‘Ma cousine est morte parce qu'il n'y a pas de médecins ‘

Zimbabwean doctors outside Parirenyatwa Hospital in Harare protesting about the abduction of their union leader in September 2019

Crédit photo, AFP

Légende image, Doctors protested in force after their union leader was abducted not long after the strike began
    • Author, Shingai Nyoka
    • Role, BBC News, Harare

La crise du système de santé au Zimbabwe commence à laisser dans son sillage son lot de morts.

Scène déchirante sur le parking du plus grand hôpital du Zimbabwe. Des personnes étaient assises par terre en attendant de récupérer un corps à la morgue de l'hôpital Parirenyatwa, qui a été paralysé par la grève nationale des médecins.

Deux d'entre elles, qui ont préféré garder l'anonymat, ont dit que leur cousine était morte d'une insuffisance rénale la veille.

"Elle a été admise ce week-end, avec une hypertrophie du cœur et des reins. Elle était enflée de la tête aux pieds", m'a raconté l'une d'elles.

"Mais il n'y a aucune preuve qu'elle a été soignée par un médecin. Ils l'ont mise sous oxygène. Elle attendait depuis deux jours d'être dialysée. Mais elle avait besoin de l'accord d'un médecin".

"La politique doit être mise de côté, en matière de santé. Les malades doivent être soignés."

Sa compagne m'a dit qu'elle avait perdu trois parents pendant la grève : sa belle-mère en septembre, son oncle la semaine dernière et maintenant sa cousine.

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Des hommes attendent des médicaments dans une pharmacie de l'hôpital Parirenyatwa à Harare, septembre 2019

Crédit photo, AFP

Légende image, L'hôpital Parirenyatwa à Harare est généralement le centre médical le plus fréquenté du Zimbabwe avec 1 800 lits.

"Sauver des vies devrait être la priorité. Dans notre quartier, nous enregistrons tant de funérailles. C'est toujours la même histoire : "Ils étaient malades et puis ils sont morts. C'est dévastateur ", a-t-elle ajouté.

Il n'existe pas de chiffres officiels sur le nombre de personnes qui ont été renvoyées des hôpitaux publics ou qui ont perdu la vie depuis le début du mois de septembre, lorsque les médecins ont cessé d'aller travailler.

Mais les anecdotes donnent un aperçu de la crise à laquelle le système de santé publique du Zimbabwe est confronté.

Une jeune femme enceinte rencontrée à l'hôpital Parirenyatwa porte une énorme entaille au-dessus de l'œil gauche.

Elle a indiqué avoir été gravement agressée par son mari et ne pouvait plus sentir son bébé bouger.

Elle avait été renvoyée d'un hôpital public et tentait de recevoir des soins à l'hôpital principal de la capitale, Harare, où elle avait entendu dire qu'elle pourrait trouver quelques médecins militaires.

On ne peut pas se permettre d'aller travailler

Les médecins n'appellent pas cela une grève, mais plutôt une "incapacité", disant qu'ils ne peuvent pas se permettre d'aller travailler..

Médecins protestant contre l'enlèvement de leur dirigeant syndical en septembre 2019

Crédit photo, AFP

Légende image, D'autres médecins, dont certains ont été vus ici en train de protester contre l'enlèvement de Peter Magombeyi, ne se présentent pas non plus au travail.

Ils exigent des augmentations salariales pour faire face à une inflation à trois chiffres dans le contexte de crise économique du Zimbabwe.

La plupart des médecins en grève gagnent moins de 100 $ par mois, ce qui est loin d'être suffisant pour acheter de la nourriture ou se rendre au travail.

Peu de temps après le début de la grève, leur chef syndical, Dr Peter Magombeyi, a été enlevé pendant cinq jours dans des circonstances mystérieuses.

Il s'agit de l'un des nombreux enlèvements cette année de personnes considérées comme critiques envers le gouvernement.

Les autorités nient toute implication dans ces affaires d'enlèvement, mais toutes les personnes enlevées sont généralement libérées après avoir été battues et menacées.

Depuis lors, 448 médecins ont été licenciés pour avoir fait grève et pour avoir violé une décision du tribunal du travail qui leur avait ordonné de reprendre le travail.

Cent cinquante autres personnes font encore l'objet d'audiences disciplinaires.

Il y a dix jours, un journaliste a envoyé sur Twitter des images montrant les salles désertes de l'hôpital Parirenyatwa, décrivant la scène comme "vide et fantomatique".

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Un appel à la reprise du travail

Le président du Zimbabwe, Emmerson Mnangagwa, a donné aux médecins licenciés 48 heures pour retourner au travail.

Il fait suite à sa rencontre jeudi avec les responsables de l'Eglise.

Plus de 400 médecins avaient reçu des lettres de licenciement et s'étaient fait dire qu'ils devaient présenter une nouvelle demande d'emploi s'ils voulaient récupérer leur emploi.

Mais la dernière annonce reflète l'assouplissement de la position du gouvernement à l'égard des médecins, une branche d'olivier tendue vers les grévistes.

Tous seront pardonnés et les lettres de licenciement seront annulées s'ils retournent au travail dans les 48 heures.

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Les médecins en chef, qui remplaçaient les collègues subalternes en leur fournissant des services d'urgence, semblent gagnés par le découragement.

Ils demandent au gouvernement de réintégrer les médecins congédiés et de répondre à leurs revendications salariales.

Les grèves ont paralysé le système de santé et les infirmières des cliniques municipales ne se présentent pas au travail parce qu'elles réclament un salaire décent.

Une infirmière m'a dit que ses frais de transport à eux seuls lui faisaient perdre la moitié de son salaire.

Des mouroirs

La crise a aggravé la situation dans un secteur de la santé qui s'effondrait déjà. Les médecins en chef décrivent les hôpitaux publics comme des "pièges mortuaires".

Pendant des mois, ils ont dû faire face à des pénuries de produits de base comme les bandes, les gants et les seringues.

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On le surnomme le ''crocodile'' du fait de sa patience mais aussi de sa férocité.

Crédit photo, Getty Images

Légende image, Le président Emmerson Mnangagwa donne 48 heures aux médecins pour reprendre le service

Certains équipements récemment achetés sont inférieurs aux normes et obsolètes, disent-ils. Le gouvernement dit qu'il ne peut se permettre d'augmenter les salaires.

Ce ne sont pas seulement les médecins, mais l'ensemble de la fonction publique qui réclame des augmentations de salaire, même si les salaires représentent déjà plus de 80% du budget national.

Mais les représentants des travailleurs disent que c'est une question de priorités au moment où les hauts fonctionnaires conduisent tous des véhicules de luxe haut de gamme et se font régulièrement soigner à l'étranger.

En septembre, Robert Mugabe, ancien président du pays, est décédé à l'âge de 95 ans à Singapour, où il suivait un traitement depuis avril.

Le vice-président Constantino Chiwenga, l'ancien chef de l'armée à l'origine de la prise de pouvoir militaire qui a conduit au départ de Mugabe il y a deux ans, revient tout juste de quatre mois de traitement médical en Chine.

A son retour, M. Chiwenga a fustigé les médecins pour avoir décidé de faire grève.

Le gouvernement dit qu'il recrutera du personnel médical d'autres organisations et de l'étranger. Au fil des ans, Cuba a fourni au Zimbabwe des médecins et des spécialistes.

Une bouée de sauvetage d'un milliardaire

Personne ne sait comment ça va finir. Le milliardaire zimbabwéen des télécommunications Strive Masiyiwa, basé au Royaume-Uni, a proposé de créer un fonds de 100 millions de dollars zimbabwéens (6,25 millions de dollars US) pour tenter de sortir de cette impasse.

Il paierait, entre autres, jusqu'à 2.000 médecins un peu plus de 300 dollars par mois et leur fournirait un moyen de transport pour se rendre au travail pendant une période de six mois.

Les médecins n'ont pas encore réagi. La grève a divisé les Zimbabwéens.

Légende vidéo, Au Zimbabwe, les forces de sécurité accusées de torture systématiques
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La crise du Zimbabwe en chiffres :

- L'inflation tourne autour de 500%.

- 60% de la population, soitprès de 14 millions de personnes,sont en situation d'insécurité alimentaire (c'est-à-dire pas assez de nourriture pour les besoins de base)

- 90 % des enfants âgés de six mois à deux ans ne consomment pas un régime alimentaire minimum acceptable

Source: Haut commissariat des droits de l'homme des nations unies

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Un vendeur à Harare avec d'anciens billets de 2 dollars et de nouveaux billets de 2 dollars zimbabwéens en novembre - Zimbabwe

Crédit photo, Reuters

Légende image, Les salaires n'ont pas suivi la hausse des prix sur le marché

Tendai Biti, ancien ministre des finances d'un gouvernement d'unité et chef adjoint du principal mouvement d'opposition, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC), a appelé à une révision urgente des conditions de travail des médecins.

"Un pays avec un budget de 64 milliards de dollars zimbabwéens ne peut certainement pas ne pas résoudre ce problème... le problème ici, c'est le leadership", a-t-il dit.

L'analyste Stembile Mpofu affirme qu'il s'agit plus d'une question politique.

"Il est difficile de trouver la position des médecins moins insensible que celle des politiciens en ce qui concerne la population du Zimbabwe", dit-elle.

Beaucoup ici, y compris l'association des médecins chefs, ont utilisé le terme "génocide silencieux" pour décrire la crise.

Tant de gens meurent dans l'indifférence. On ne sait pas exactement combien d'autres personnes continueront de mourir à l'approche du troisième mois de cette impasse.