Des milliers de personnes soutiennent le Dr Timnit Gebru "virée" par Google

Timnit Gebru at a conference

Crédit photo, Getty Images

    • Author, Cristina Criddle
    • Role, Journaliste technologie

Les scientifiques ont exprimé leur soutien à une chercheuse reconnue en éthique de l'intelligence artificielle qui affirme que Google l'a licenciée.

La lettre ouverte exigeant la transparence a maintenant été signée par plus de 4 500 personnes, dont des chercheurs de DeepMind et des universitaires britanniques.

Google conteste la version des faits de Timnit Gebru au sujet des événements qui ont conduit à son départ de l'entreprise.

Elle dit avoir été licenciée pour avoir envoyé un courriel interne accusant Google de "faire taire les voix marginalisées".

Elle a envoyé ce courriel après le rejet d'un document de recherche qu'elle avait co-signé.

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La polémique a conduit de nombreux membres de la communauté scientifique à s'interroger sur l'éthique de la recherche faite par les grandes entreprises technologiques.

Et lundi, des membres de l'équipe du Dr Gebru chez Google ont publié une deuxième lettre ouverte contestant les déclarations de la société.

'Publications sélectives'

"Je soutiens le Dr Timnit Gebru", a déclaré Tabitha Goldstaub, qui préside le conseil de l'IA du gouvernement britannique.

"Elle est courageuse, brillante et nous avons tous bénéficié de son travail. C'est un autre exemple de l'importance d'une recherche indépendante et publique sur l'IA", a-t-elle ajouté.

Julien Cornebise, professeur associé honoraire de l'University College de Londres, a expliqué que la "publication sélective" était une pratique ancienne dans l'industrie du tabac concernant le cancer, ainsi que dans les industries énergétiques au sujet du changement climatique.

"Les chercheurs en IA doivent réaliser que la structure où ils exercent leurs recherches compte car ils n'ont peut-être pas le contrôle sur la façon dont elles sont utilisées et publiées", selon lui.

Mais pour de nombreux experts menant des recherches avancées sur l'IA et le machine learning, le partenariat avec des sociétés technologiques telles que Facebook et Google reste la seule option car elles disposent des ressources et des capacités.

"Elles ont un monopole de la recherche dans ce domaine", a souligné le professeur Cornebise.

Systèmes déontologiques

Signée par le personnel de Google, Microsoft, Apple, Facebook, Amazon et Netflix ainsi que par plusieurs scientifiques de DeepMind, une société d'IA basée à Londres et appartenant à la société mère de Google, Alphabet, la lettre ouverte demande à Google d'expliquer pourquoi l'étude a été rejetée.

"Si nous ne pouvons pas parler librement des défis éthiques posés par les systèmes d'IA, nous ne construirons jamais de systèmes éthiques", a tweeté Iason Gabriel, chercheur de DeepMind.

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Le Dr Gebru est reconnue pour ses travaux sur les préjugés raciaux dans le domaine de la technologie et a critiqué les systèmes qui ne reconnaissent pas les visages noirs.

Sur Twitter, les utilisateurs ont exprimé leur solidarité avec le hashtag #BelieveBlackWomen (Croyez les femmes noires).

'Rien d'exceptionnel'

"Elle a été un grande défenseuse des noirs dans l'IA", a dit Donia Scott, membre de l'Association for Computational Linguistics.

"Le fait que même une femme noire aussi connue ait été traitée de la sorte est révélateur. Il n'y a rien d'inhabituel à cela pour les femmes noires", a-t-elle ajouté.

Les chercheurs en IA ont toujours considéré Google "comme une force du bien", a-t-elle encore déclaré, mais cela va changer maintenant.

'Très respectée'

Pour le Dr Noni Symeonidou, professeur associé d'entrepreneuriat et d'innovation à la Warwick Business School :

"Si ces accusations sont vraies, la réaction de Google ne fera qu'empêcher les chercheurs de vouloir nous rejoindre à l'avenir. Et cela nuira à la capacité de Google à recruter des talents et à stimuler l'innovation."

Julie Lee, chercheuse postdoctorale à l'University College London, a affirmé qu'elle serait choquée si "une personne de la renommée du Dr Gebru et qui bénéficie d'un tel respect" était licenciée "d'une manière qui semble si partiale... précisément cette année où de nombreuses entreprises ont publié des déclarations sur la diversité pour promouvoir les embauches et la rétention de candidats issus de la diversité, en particulier de femmes noires comme le Dr Gebru".

Le professeur émérite de l'université de Lancaster, Lucy Suchman, a déclaré : "il est remarquable que Google se sente suffisamment menacé par une publication de recherche pour s'engager dans cet acte de censure. On ne peut que conclure que Google n'a pas la capacité, au sein de son organisation de recherche, d'accueillir une scientifique féministe noire comme Timnit Gebru, aussi respectée et estimée soit-elle".

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'Trop tard'

Le Dr Jeff Dean, responsable de la division IA de Google, a indiqué qu'il y avait eu "beaucoup de spéculations et de malentendus".

L'article du Dr Gebru a été soumis un jour avant la date limite, a-t-il dit, trop tard pour le processus d'examen de Google et il soutient qu'elle avait écarté certains résultats de recherche pertinents.

"Timnit a répondu par un courriel exigeant qu'un certain nombre de conditions soient remplies pour qu'elle puisse continuer à travailler chez Google, y compris révéler l'identité de chaque personne à qui [nous] avons parlé et consulté dans le cadre de l'examen du document et leurs observations exactes", a déclaré le Dr Dean.

"Timnit a écrit que si nous ne satisfaisions pas à ces exigences, elle quitterait Google après avoir observé un préavis. Nous acceptons et respectons sa décision de démissionner de Google."

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Cependant, des membres de l'équipe du Dr Gebru ont contesté cette version des faits.

Ils ont déclaré qu'"à peu près la moitié des études soumises au processus d'approbation de Google l'ont été "un jour ou moins" avant la date limite.

Et ils ont ajouté que le document en question avait déjà été diffusé pour obtenir des commentaires en interne et provenant de l'extérieur auprès de 28 personnes avant sa soumission, ce qui, selon eux, était un "nombre exceptionnellement élevé".

L'un des co-auteurs du document a également contesté les allégation du Dr Dean selon laquelle il y avait des "lacunes importantes" dans son contenu qui avaient empêché Google de vouloir être associé à cette étude.

"Notre document, rédigé en collaboration avec sept universitaires ayant des domaines d'expertise variés, est profondément ancré dans plusieurs traditions de recherche différentes", a déclaré le professeur Emily Bender de l'Université de Washington à la BBC.

"Nous avons obtenu 128 articles cités, ce qui est bien plus que ce qui est habituel pour une étude de ce type. Néanmoins, comme c'est toujours le cas dans la recherche, nous aurions certainement pu en citer davantage. Mes co-auteurs de Google n'ont pas eu l'occasion d'examiner si le travail supplémentaire spécifique était pertinent à citer".