Coup d'Etat d'Assimi Goita : les prochaines étapes au Mali?

    • Author, Kahofi Jischvi SUY
    • Role, Journaliste

Après le départ du président Ibrahim Boubacar Keïta et l'instauration « d'une transition politique civile » censée conduire à des élections générales, de nombreuses interrogations persistent sur l'avenir politique du Mali.

Le putsch de mardi a été condamné par la communauté internationale qui s'inquiète de l'aggravation de la crise au Mali, déjà en proie aux violences djihadistes et intercommunautaires, et des contestations.

Les auteurs du coup d'Etat ont annoncé la mise en place du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) et indiquent ne pas vouloir s'éterniser au pouvoir.

La question est de savoir quand est-ce que les élections se tiendront et quel sera le rôle des civiles (politique et religieux) dans le processus de transition ?

Que doit-on attendre de la CEDEAO?

La CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) qui a vivement condamné l'arrestation du président malien puis le coup d'état a déjà adopté la même posture qu'en 2012 lors du putsch d'Amadou Haya Sanogo, mais avec une plus grande célérité.

Le bloc régional avait maintenu une forte pression sur la junte de l'époque activant éventuellement le levier des sanctions contre les militaires en cas de refus d'un transfert du pouvoir aux civils.

Parmi les leviers qu'ils ont tirés un peu plus d'une semaine après le coup d'État du 22 mars, il y a la décision de la CEDEAO de fermer ses frontières au Mali et de mettre le pays sous embargo commerciales et financières.

Cette décision a été paralysante pour ce pays enclavé, le coupant des importations de carburant essentielles à la bonne marche de son économie. La junte a cédé quelques jours plus tard.

Cette fois, la CEDEAO a agi avec diligence en annonçant la fermeture de toutes les frontières terrestres et aériennes avec le Mali et l'arrêt de tous les flux et transactions économiques, commerciales et financières dans les heures qui ont suivi l'arrestation du président et d'autres hauts fonctionnaires par les militaires, et avant même la première déclaration publique de la junte revendiquant le coup d'Etat.

L'instance sous régionale a aussi demandé un ensemble de sanctions immédiates contre les putschistes et leurs collaborateurs. Et ce, dans les heures qui ont suivi l'arrestation du président et d'autres hauts fonctionnaires par les militaires et avant même la première déclaration publique de la junte revendiquant le coup d'Etat.

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La CEDEAO, organisation régionale et médiatrice dans la crise politique persistante au Mali depuis juin doit se réunir jeudi en visioconférence pour évaluer la situation.

Le Niger, qui préside actuellement la CEDEAO et la France ont demandé un huis-clos du Conseil de sécurité des Nations unies sur le Mali. Celui-ci doit se réunir mercredi après-midi en urgence, selon des sources diplomatiques.

La résolution de la crise au Mali est un enjeu majeur pour la CEDEAO rappelle Etienne Faka Ba, professeur d'université au Mali. Le chercheur du Centre de recherche, d'analyse sociale et économique du Mali rappelle "que le Mali fait face à une menace djihadiste qui si elle n'est pas contenu risque de se propager autres pays de la CEDEAO".

Au-delà, "ce serait un aveu d'échec pour la CEDEAO, la France, l'ONU et tous les autres acteurs présents dans le pays de ne pas réussir à trouver une solution à cette crise dans laquelle ils sont engagés depuis plusieurs années".

Professeur Cissoko indique que la volonté de trouver une solution pousse la CEDEAO à se montrer plus exigeante envers la junte en témoigne "la fermeture des frontières et les portes des établissements financiers" dans le pays.

"La CEDEAO veut savoir ce que les militaires veulent réellement à la tête du Mali" précise le chercheur.

De la transition aux élections

Les militaires annoncent la tenue d'élection et la Constitution dispose qu'en cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d'empêchement absolu ou définitif les élections doivent être organisées dans un délai de 40 jours maximum.

Concernant ce délai imparti par la Constitution malienne, Balla Konaré, professeur de droit à l'université de Bamako apporte des précisions.

"Nous ne sommes pas dans une situation constitutionnelle où la vacance du pouvoir est constatée par l'Assemblée National mais plutôt dans une situation de légitimité populaire".

"Le délai pour organiser les élections risque d'être plus long et nous avons une jurisprudence en la manière c'est bien [le coup d'Etat contre Amadou Toumani Touré, dit ATT] 2012".

Après le putsch, il a fallu près d'un an au Mali pour arriver à assurer la transition et organiser les élections : "le délai constitutionnel de 40 jours ne peut être respecté par la junte car l'Etat est totalement en déconfiture et les militaires ne pourront pas à eux seuls décider de la tenue des élections dans un délai constitutionnel".

Mais dans un contexte post-putsch encore incertain et surtout de crise économique et politique au Mali, les militaires devront rassurer les potentiels bailleurs et partenaires capables d'aider le Mali à organiser des élections.

L'organisation de ces élections peut s'avérer un nouveau défi.

N'oublions pas que ce sont les résultats contestés des élections législatives de mars dernier qui ont occasionné la vague de manifestations et de contestations meurtrières qui a duré plus de quatre mois et qui devait reprendre cette semaine et dont les activités devaient reprendre cette semaine, selon le Mouvement du 5 Juin - Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP). Cette coalition hétéroclite d'opposants politiques, de guides religieux et de membres de la société civile mène la contestation politique au Mali.

Dialogue opposition-junte militaire

Les chefs d'État de la CEDEAO étaient déjà en mission de bons offices au Mali et ont proposé il y a un mois la formation d'un gouvernement d'union pour résoudre la crise politique.

L'opposition a rejeté cette proposition et a insisté pour que le président Ibrahim Boubacar Keïta et le Premier ministre démissionne.

Les militaires maliens qui ont évincé le président mardi ont décidé d'une certaine manière de reprendre à leur compte cette proposition de la CEDEAO en annonçant la mise en place d'un gouvernement de transition.

"La société civile et les mouvements sociaux politiques sont invités à nous rejoindre pour créer ensemble les meilleures conditions d'une transition politique civile menant à des élections générales crédibles pour l'exercice de la démocratie à travers une feuille de route qui jettera les bases d'un nouveau Mali", a déclaré le colonel-major Ismaël Wagué.

L'identité des personnalités censées conduire la transition n'est pas clairement définie. Même si dans son appel aux acteurs des mouvements politiques et sociaux, le colonel Wagué semble faire référence au M5-RFP, ce mouvement de contestation n'est pas cité nommément.

"Il est trop tôt pour que nous puissions dire si nous sommes heureux ou pas", déclare à la BBC Soya Djike, membre du comité d'organisation de M5-RFP.

"Nous pensons que certains des problèmes qu'ils [les militaires] soulèvent sont aussi les nôtres. Mais dans tout gouvernement démocratique, comme vous le savez, un régime militaire, nous n'en voulons pas. Nous parlerons des rôles que nous jouerons et des rôles qu'ils joueront et nous espérons parvenir à une sorte d'accord qui assurera à nouveau une bonne gouvernance. Si nous pouvons trouver un terrain d'entente à ce sujet, nous pourrons alors aller de l'avant. Tout le reste ne nous intéresse pas", déclare-t-il.

Toutefois, qui dirigera la transition politique dont parle la junte? Un militaire, un acteur politique consensuel? Un membre de la société civile ? Une question sans réponse pour le moment.