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Alpha Condé: l'homme qui veut briguer un 3ème mandat en Guinée à 82 ans
A l'appel de son parti, Alpha Condé a indiqué qu'il prenait acte sans toutefois avancer un oui qui serait le signe d'un engagement ferme.
Agé de 82 ans, il tient ferme face à la pression de la rue et aux assauts de l'opposition depuis près d'un an dans un projet controversé de réforme constitutionnelle.
Cette reforme sera finalement adoptée après le scrutin du dimanche 22 mars malgré le boycott de l'opposition.
Pour les partisans de M. Condé, cette reforme remet à zéro le compteur des mandats de leur champion qu'ils présent encore comme un combattant de la démocratie.
Mais qui est donc Alpha Condé, celui qui a "repris" aux militaires le pouvoir en Guinée, ce pays d'Afrique de l'ouest à l'histoire politique mouvementé ?
Alpha Condé, ancien président de la Fédération des étudiants d'Afrique noire en France (FEANF), fait face, depuis plusieurs mois, à un soulèvement populaire, avec le cri de guerre Amoulanfé (ça ne passera pas, en langue locale).
Militant de la cause noire dans les années 1950 en France, Alpha Condé était une figure majeure de l'opposition à Sékou Touré, premier président de la Guinée, puis à Lansana Conté, ancien opposant historique.
Arrêté et maintenu en détention pendant 20 mois sans procès.
Une cour spéciale le condamne, en 2000, à cinq ans de prison pour "atteintes à l'autorité de l'État et à l'intégrité du territoire national".
Il est finalement libéré en 2001 par une grâce présidentielle.
Son parcours personnel et son statut d'opposant avait fait de lui une figure majeure de la politique guinéenne et africaine.
Certains analystes se demandent comment un homme de sa trempe a pu se métamorphoser et envisager de changer la constitution, contre le gré d'une proportion importante de sa population qui l'accuse de vouloir se maintenir au pouvoir, après deux mandats.
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Elu président en 2010 après 45 ans d'opposition
"Aujourd'hui, toutes les conditions sont réunies pour gouverner autrement notre pays, pour changer radicalement de cap", théorisait le candidat Alpha Condé, dans le livre "Un Africain engagé : Ce que je veux pour la Guinée", en juin 2010.
Le 21 décembre 2010, après 45 ans passés dans l'opposition, l'une des icônes de l'opposition politique en Afrique francophone devient président après d'autres opposants comme Abdoulaye Wade et Laurent Gbagbo.
Cette première alternance démocratique en Guinée donnait espoir à plusieurs autres peuples qui luttaient eux-aussi depuis des décennies pour des changements qualitatifs à la tête de leurs pays.
La ferveur qui a accompagné l'élection de l'ancien prisonnier politique de Lansana Conté a fait rapidement oublier les contestations de son rival Cellou Dalein Diallo qu'il a fini par battre au second tour, alors même que ce dernier l'avait bien devancé au premier tour avec 48% des voix.
Au fil des contestations populaires, la ferveur populaire et l'admiration portée à l'opposant historique vont se transformer en dépit.
De nombreux guinéens se demandent ce qu'il reste de ce leader qui s'est battu pendant 45 ans pour que la démocratie soit une réalité en Guinée.
Gouvernance économique
Sur le plan économique, un changement radical de cap que promettait le candidat Condé ne s'est pas opéré après deux mandats à la tête du pays.
La Guinée qui regorge de ressources minières et naturelles, surnommé le Château d'eau de l'Afrique, n'a pas pu émerger.
"La Guinée a connu une croissance de son PIB de 6% en 2018 et 6,2% en 2019. Ce rebond a été soutenu grâce à la hausse des investissements directs étrangers (IDE) dans le secteur minier et à une certaine amélioration de la production d'électricité" indique la Banque Africaine de Développement.
Cette richesse minière semble surtout profiter aux investisseurs qu'aux communautés riveraines des sites miniers, qui espèrent tirer profit des retombées de l'exploitation minière.
Pour de nombreux analystes, la Guinée ne pourra réellement tirer profit de ses richesses qu'en s'assurant une véritable stabilité politique et sociale.
Violations multiples des droits de l'homme
Début novembre 2019, Amnesty International a fait part de ses inquiétudes dans un rapport sur la Guinée intitulé "Les voyants au rouge pour les droits humains à l'approche de l'élection présidentielle".
L'ONG déclare avoir "constaté que 70 manifestants et passants ont été tués dans le cadre de manifestations entre janvier 2015 et octobre 2019".
"Les leaders des mouvements pro-démocratie et de nombreux manifestants ont été arrêtés. C'est un affront pour les droits humains et une tentative violente visant à museler la dissidence", ajoute-t-elle.
Quelques mois plus tôt, c'était une autre ONG internationale des droits humains, Human Rights Watch (HRW), qui s'est à son tour préoccupée de la situation en Guinée, dans son apport 2019 publié en janvier 2020.
"Les forces de sécurité ont souvent eu recours à une force excessive et se sont livrées à la criminalité et à l'extorsion de fonds pour disperser des manifestations de rue souvent violentes", dénonçait HRW.
"Les violations de la liberté d'expression, notamment les arrestations et les attaques contre des journalistes, ont persisté", ajoute l'ONG.
Condé désormais face à ses anciens alliés
Le sort d'Alpha Condé, alors qu'il était en prison, avait ému beaucoup de personnes. Une campagne internationale pour sa libération avait été menée par plusieurs organisations dont la même Amnesty International, qui relève aujourd'hui les travers de son régime. Mais pas que.
L'artiste ivoirien Tiken Jah Fakoly avait composé une chanson en faveur de l'homme politique guinéen.
"Je trouvais qu'il avait été injustement emprisonné à cause de son combat pour la démocratie", a dit l'artiste à la BBC.
Le même artiste, des années plus tard, revient composer avec le rappeur sénégalais Didier Awadi une chanson dans laquelle ils reprennent à leur compte le slogan des activistes guinéens : "Amoulanfé".
De plus en plus de personnes, y compris des Guinéens et des Non-Guinéens, soupçonnent fortement le président guinéen d'être grisé par le pouvoir.
De son côté, le président se défend en rappelant que la classe politique s'était mise d'accord, avant qu'il n'arrive au pouvoir, pour modifier cette Constitution.
"Nous sommes obligés de violer la Constitution actuelle par des accords politiques. Aujourd'hui, la Constitution de la Guinée doit répondre aux besoins du monde actuel. Par exemple, la parité entre hommes et femmes, la lutte contre les mutilations génitales, le mariage des filles avant 18 ans, et surtout le partage correct des ressources", a-t-il dit début février 2020 à la télévision France 24.
"Pour les élections, chaque parti va présenter le candidat qu'il veut. La Constitution, c'est une chose. L'élection présidentielle, c'est une autre chose", a-t-il ajouté.
"Ces gens allaient faire exactement comme Sékou Touré"
"Je prévoyais - et je ne me suis pas trompé - que ces gens qui avaient pris le pouvoir allaient faire exactement comme Sékou Touré, c'est-à-dire qu'ils n'allaient pas faire avancer le pays", confiait Alpha Condé à Jeune Afrique, évoquant ses sentiments lorsque, en 1984, Lansana Conté prenait le pouvoir à la suite du décès de Sékou Touré.
Cette prédiction de 1984 semble bien s'appliquer à la présidence d'Alpha Condé.
Les soulèvements populaires sur fond de cassures politiques font craindre des lendemains sombres pour la Guinée à l'orée du double scrutin du 15 mars 2020.