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Le prêtre nigérian qui protège les statues des divinités Igbo
Alors que certains prédicateurs pentecôtistes de l'est du Nigeria mettent le feu à des statues et autres objets anciens qu'ils considèrent comme des symboles d'idolâtrie, un prêtre catholique au contraire décide de les conserver.
Ces objets sont au cœur des religions traditionnelles pratiquées par le peuple Igbo de la région, qui les considère comme sacrés et dotés de pouvoirs surnaturels.
Mais il y a aujourd'hui très peu d'adeptes de ces religions, le christianisme - mené par les églises pentecôtistes - étant devenu la religion dominante de la région.
Chiagozie Nwonwu et Karina Igonikon, de BBC Igbo, rendent compte des efforts du prêtre pour protéger une histoire qui se perd à cause des actions de certains prédicateurs.
Bien qu'on le qualifie de "feu qui brûle", le révérend Paul Obayi, qui dirige le Deities Museum dans la ville de Nsukka, dans l'est du Nigeria, n'a rien d'effrayant.
Situé dans l'enceinte de la cathédrale catholique Sainte-Thérèse, ce musée de trois pièces abrite des centaines de totems, de masques, un lion empaillé et des sculptures de divinités Igbo.
Lorsque les communautés abandonnent les croyances religieuses traditionnelles, principalement sous l'influence des églises chrétiennes pentecôtistes, certains pasteurs brûlent ces objets, qui, selon eux, contredisent la foi et les croyances monothéistes, et représentent "des esprits maléfiques qui portent malheur".
Parfois, les fidèles des religions traditionnelles brûlent également leurs divinités, conformément à la croyance exprimée par le proverbe Igbo : "Si un Dieu devient trop gênant, il devient du bois pour la cheminée".
Mais le révérend Obayi rame à contre courant, en préservant les dieux et déesses rejetés, disant utiliser des pouvoirs religieux pour supprimer leurs supposées capacités surnaturelles. Cela lui vaut le surnom d'Okunerere - "le feu qui brûle les idoles dans l'esprit".
"J'ai déjà détruit les esprits", a-t-il déclaré dans son musée.
"Ce que vous avez n'est qu'une coquille vide. Il n'y a rien à l'intérieur."
Le révérend Obayi déclare qu'il avait été partiellement influencé par les musées des pays occidentaux, qui subissent une énorme pression pour restituer des objets, tels que les bronzes du Bénin, qui ont été pillés pendant la coloniale.
"Je visite des musées en Occident et je vois des objets d'art, certains provenant même du Bénin, et j'ai pris la décision de préserver les nôtres."
Un trésor de divinités
L'administrateur de la cathédrale, le révérend père Eugene Odo, soutient son initiative, la comparant à un musée appartenant à des catholiques en Italie.
"À Rome par exemple, il y a le musée abritant des choses que les Romains faisaient en tant que païens, et les gens y vont pour voir les étapes du développement humain", a-t-il déclaré.
Bien que le musée des divinités accueille des visiteurs qui viennent d'aussi loin que Lagos pour voir certains des objets étiquetés, il a grand besoin de soins et d'attention. Les objets, dont certains sont vieux de plusieurs siècles, sont éparpillés sur le sol du musée, couverts de poussière. Certains ont été ravagés par les termites.
Mais c'est un trésor de divinités Igbo - dans un coin se trouve un masque à l'aspect effrayant entouré de raphia, dans un autre coin une divinité utilisée par les illusionnistes - deux objets de forme longiligne maintenus ensemble par une ficelle, utilisés dans le passé pour résoudre des "mystères" tels que l'arrestation d'un voleur.
Des leviers cachés actionnés permettaient de contrôler le mouvement des objets à l'appel des noms des suspects, donnant l'impression qu'une force invisible avait découvert le voleur.
Mais la pièce de résistance est l'Adaada leja, une déesse sans tête recouverte de raphia, célébrée par ceux qui cherchent des enfants. Le révérend Obayi explique que cette divinité a presque 200 ans.
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Les objets proviennent des "services de délivrance" qu'il a menés au cours des 20 dernières années dans des villes et des villages du sud-est du Nigeria.
"Les gens écrivent des lettres m'invitant à venir enlever les idoles qui les dérangent", a-t-il déclaré.
La voie des ancêtres
L'Odinani, une ancienne religion Igbo, était pratiquée avant l'arrivée du christianisme et du colonialisme. Il s'agit d'une forme d'animisme où les gens prient un esprit - représenté par une statue - appelée chi. Ils demandent l'intercession en leur nom d'un être suprême, ou Chukwu.
Les autres divinités vénérées sont
- Ala - la déesse de la fertilité
- Amadioha - le dieu du tonnerre
- Ekwensu - le dieu du commerce et de l'espièglerie
- Ikenga - un avatar de l'esprit du propriétaire.
Il ne reste plus beaucoup d'adeptes de ces anciennes religions, qui sont persécutés par la majorité chrétienne.
Leurs jours sacrés ne sont pas respectés, les traditions tel que les rites de passage sont désapprouvées et il est arrivé que des sanctuaires soient envahis par des militants chrétiens.
Aujourd'hui, la plupart des pratiquants de ces religions sont des personnes âgées, bien qu'une poignée de jeunes se rebellent désormais contre leur foi chrétienne et apprennent les coutumes de leurs ancêtres.
Chinasa Nwosu, évêque pentecôtiste de la Royal Church, dans la ville de Port Harcourt, dans le sud du pays, est un féroce critique des croyances traditionnelles.
L'évêque Nwosu s'est fait connaître au début des années 1990 pour avoir démoli des sanctuaires, brûlé les prétendues idoles et déraciné ce qu'il dénonce comme des "arbres maléfiques".
Ces arbres, dont certains sont anciens, ont leur base enveloppée de morceaux de tissu blanc ou rouge et sont sacrés pour les adeptes qui les vénèrent et leur font de petits sacrifices. Certains se trouvent dans l'enceinte familiale, mais la plupart se trouvent dans des forêts éloignées de la communauté.
"Dieu ne veut pas que nous pratiquions le culte des idoles. La religion africaine, la plupart du temps, est basée sur l'idolâtrie", a-t-il déclaré.
"Les bénédictions viennent lorsque vous retirez ces choses maudites", a-t-il ajouté, citant la Bible.
Pour lui, les sculptures et autres œuvres d'art tel que les bronzes du Bénin et les têtes d'Ife, qui sont des objets volés dans l'ouest du Nigeria et qui se trouvent maintenant dans des musées européens, n'ont pas été consacrés à un Dieu et qu'il n'est donc pas opposé à leur restitution.
Mais il a averti le gouvernement nigérian que s'il ramenait des objets qui pourraient être liés à l'"idolâtrie", comme les sculptures en bois d'Ikenga au British Museum, il voudrait qu'ils soient brûlés.
Le révérend Obayi s'oppose avec véhémence à ce point de vue et reste déterminé à préserver les objets dans son modeste musée.
"Ce sont des objets que nos enfants verront et qui leur permettront de comprendre comment vivaient leurs ancêtres", a-t-il déclaré.